Xavier Dole

Carnet de réflexions et autres petites choses rigolotes ou pas

Du boulot

Petite synthèse personnelle autour de l’automatisation dans le travail.

Je connais pas mal de gens, quand on parle du boulot, qui ne parlent que d’argent. Comme si le boulot se réduisait à ça. Il me semble pourtant que s’intéresser à son métier c’est fondamental. Si mon travail m’ennuie, ma vie devient pesante.

Automatisation

Sans même parler des problèmes d’environnement et de pollution qui sont fondamentaux, l’histoire de ce qu’on appelle le progrès n’est peut-être pas si rose qu’on a bien voulu nous le laisser entendre.

Le progrès technique a généralement un pan automatisation. Une tâche automatisée, c’est un ou des métiers qui disparaissent : Ce n’est plus le.a travailleureuse avec ses outils, mais la machine – est-ce encore un outil ? – qui réalise le travail. Vous voyez la différence ? Dans le premier cas, le.a travailleureuse est au centre, servi par ses outils, dans le deuxième c’est l’inverse. Le.a travailleureuse sert la machine et est réduit au rôle de contrôleur qui vérifie que tout se passe bien, que la machine est bien alimentée et que ce qui en sort est conforme à ce qu’on attend d’elle. Mais cette tâche de contrôle peut elle aussi être automatisée. Il s’agit dans ce cas du contrôle des contrôles contrôlant les machines, et ainsi de suite. Les processus deviennent des systèmes de contrôles emboités les uns dans les autres et quand un problème est détecté, il n’est pas rare que le diagnostic et même la correction du problème soient réalisés par des machines.

Dans tout ça, les travailleureuses perdent beaucoup.

Mon expérience

Je connais bien ce processus pour l’avoir vécu de l’intérieur. En 1974, j’entrais en apprentissage chez mon père, artisan imprimeur dans une petite ville de province comme il y en avait encore tant. Les petites imprimeries artisanales de l’époque étaient encore des ateliers typographiques. L’offset commençait à montrer son nez mais n’était pas courante dans les petites structures. Là, on pratiquait encore l’art de Gutenberg.

Autour de ±1977, on demanda à mon père d’assurer le maquettage et l’impression d’un catalogue de pièces détachées de je ne sais plus quelle marque. Étant le maquettiste de l’entreprise, c’est moi qui aurait eu la charge de la mise en page. Mais mon père dû refuser le travail car trop important pour nous, et c’est une imprimerie voisine – et amie – qui le réalisa. Chez eux, une douzaine de salariés furent nécessaires pour en venir à bout.

Quinze ans plus tard, au début des années 1990, j’ai déménagé en Belgique et trouvé un poste de maquettiste/metteur en page dans une petite entreprise de communication bruxelloise.

Un jour le patron vient me voir et me demande si ça me parait jouable de maquetter tout le catalogue de pièces de plomberie d’une très grosse entreprise allemande que je ne citerai pas, et ça en quatre langues, à destination de l’Europe. On me fournissait les photos des pièces sur papier – donc à scanner et retoucher, les textes étaient par contre déjà saisis et le tout devait être mis en pages pour constituer un gros catalogue avec des centaines d’entrées référencées, et ce en quatre langues. À peine une quinzaine d’années après la petite anecdote racontée plus haut dans l’imprimerie de mon père en 1977, j’ai pu mener à bien ce travail seul. Juste en étant bien organisé et grace à quelques logiciels dont le plus important fut celui dédié à la mise en page, qui comportait de nombreuses possibilités d’automatisations pour ce genre de tâche (non, non, pas d’Adobe ni d’Xpress ici). C’était du boulot mais – somme toute – pas si compliqué, et puis quand même pas mal de temps passé. La méthode que j’avais adoptée : D’abord étudier à fond le logiciel de mise en page pour être capable de tirer le maximum de ses procédures d’automatisation en rapport avec le travail qu’on me demandait. Ensuite, et bien, ce fut quasi du beurre. Ça roule ma poule. J’étais sidéré par le gain de temps et par le fait d’être capable de me charger d’un tel travail à moi tout seul.

Est-ce vraiment moi qui ai réalisé ce travail ? J’avais une trentaine d’années et j’étais assez fier. Mais à l’analyse, j’ai surtout fait travailler le logiciel en lui donnant des règles bien conçues et précises, en utilisant à fond ses possibilités, et en le nourrissant des données textuelles et visuelles nécessaires. Faire ça, c’est bien sûr aussi un travail mais à un niveau au-dessus. Un peu comme si je donnais des indications à un esclave qui les réalisait au doigt et à l’œil. Plus rien – à part la dactylographie – art que j’affectionne d’ailleurs – et la manipulation de la souris pour la retouche des photos – ne nécessitait un quelconque coup de main, un savoir faire, propre à l’artisanat.

Hier comme aujourd’hui

Cette évolution vers l’automatisation des tâches n’a rien de nouveau. Le progrès c’était déjà ça au XIXème siècle. S’il y a eu un changement fondamental dans les mentalités en cours de route, c’est la disparition de la culture ouvrière. Aujourd’hui, plus grand monde n’est fier de son métier. Normal, la plupart des métiers aujourd’hui consistent à nourrir des machines – y-compris les ordinateurs – pour qu’elles fassent le boulot, et à contrôler que tout se passe bien.

Même les métiers qu’on pensait indécrotablement humains ne sont plus à l’abri de l’automatisation. Voici venir l’IA qui va rendre et qui rend déjà possible l’automatisation de nombreuses tâches, y-compris créatives. Regardez les architectes, les graphistes, les cinéastes, les écrivains, les musiciens, tous métiers qu’on n’imaginait pas il y a seulement dix ans pouvoir être mis en danger par les machines. En quoi les personnes qui les pratiquent se transforment et se transformeront-ils ? Des têtes qui donneront à manger des données à des IA, dans l’attente qu’elle fassent des propositions efficaces, esthétiques et +, qu’on pourra affiner humainement et/ou par IA. Une des choses les plus terribles là-dedans, c’est qu’on sert à manger à une machine dont personne n’est capable de comprendre le fonctionnement complet. Ça dépasse tout le monde.

Une conséquence de l’automatisation dans nos sociétés

De métiers intéressants, avec lesquels vous pouvez vous réaliser lentement, progresser avec les années, affiner vos connaissances et vos coups de main, en un mot vous nourrir spirituellement en plus que matériellement, il n’y en a plus guère. Alors ? Que reste-t-il ? Eh bien l’argent. Oui, il reste l’argent. Si plus rien n’est intéressant, si tous les boulots deviennent des lieu de frustration, d’ennui, voire d’abrutissement, il faut bien quelque chose pour donner de l’espoir et quelques plaisirs. Le grand tube indétrônable, c’est le mirage de la richesse possible et du bonheur par la consommation ; le fric quoi. Tout ça savamment orchestré par le capital, toujours doué quand il s’agit de trouver des solutions aux problèmes, tant que ces solutions sont à son avantage.

On se retrouve donc de plus en plus avec :

Pour finir

Pour revenir à mon sujet premier, que reste-t-il à ceux qui ont acquis avec le temps un savoir-faire, une technique, bref un métier dans lequel ils se réalisent, progressent au fil des ans, avec lequel ils souffrent mais prennent aussi du plaisir, par les connaissances , les “coups de main” qu’ils trouvent ou/et qu’on leur transmet, par l’expérience, par le salaire, toutes choses qu’ils acquièrent et qui leur apportent – même modestement – une vraie stature sociale et un vrai plaisir de vivre ?

J’idéalise là ? Il en faut de l’idéal, il en faut !
Dormons en paix mes enfants, on s’occupe de nous.

Petit supplément

Même si on ne le nommait pas et qu’il se produisait à un rythme très lent, le progrès est vieux comme le monde. Alors qu’est-ce qui a changé ? Il me semble qu’on doit situer la rupture au moment où le.a travailleureuse perd la maitrise de son outil. La complexité de celui-ci devient telle qu’il ne peut qu’en être le servant. L’outil est alors devenu un système complexe que seuls des spécialistes peuvent comprendre. À ce moment, l’outil ne nous aide plus à façonner le monde à notre convenance ; le système complexe qu’il est devenu est si puissant qu’il façonne notre monde par ce qu’il implique structurellement. Pensez à la transformation des paysages impliquée par l’arrivée de l’automobile. Pensez au smartphones et au web, transformant profondément l’organisation de nos sociétés ; on a entrevu dans cet article certains effets de l’IA au niveau des métiers, mais par delà, quelles seront ses implications ?

Xavier Dole

Sources d’inspirations

J’en oublie plein, c’est sûr, mais j’ai un peu la flemme, désolé. En tous cas, je les remercie tous d’avoir partager leur travail. Sans eux…